Vous savez que Loup Blanc habite La Tanière, dans le Jura.
Cette Tanière, construite au 18ème siècle est une ancienne ferme qui fut jadis régie par le droit de Main Morte, Mainmorte qui a donné son nom au petit hameau d'où je vous écris.
Mais qu'était-ce que la Main Morte?
La ville de Saint-Claude au XVIII siècleChaumont, La Mainmorte, Tressus, appartiennent depuis le 5ème siècle, à l'Abbaye de St-Oyend de Joux ( future Abbaye de St Claude) qui fut considérée comme la première de Franche Comté, presque égale avec celle de Cluny. Au sixième siècle, l'abbaye compta jusqu'à 1500 moines.
Pour faire vivre cette Abbaye, il faut cultiver ses terres. et c'est l'Abbé Olympe qui installa les premiers colons séculiers sur des terres organisées en fiefs. Ce fut le début d'une nouvelle organisation sociale, appelée Main Morte.
C'est ainsi que le fief de Chaumont, soumis à la suzeraineté abbatiale devient une terre mainmortable.
Moyennant le paiement d'un impôt (le cens) un paysan se voit attribuer une terre défrichée, dont il reçoit l'usufruit, charge à lui et à sa famille de cultiver des terres dont ils ont la jouissance mais jamais la propriété.
Les biens du Mainmortable ne peuvent se transmettre qu'à ses descendants directs. En aucun cas, la terre ne peut faire l'objet d'un testament ou d'une transmission par legs. La Main Morte ne peut pas écrire donc ni tester ni lèguer. En cas d'absence de descendants, tous les biens reviennent au propriétaire, ici, en l'occurrence, l'Abbaye de St Claude.
Cette obligation contraint les familles à se rassembler sous le même toit, contribuant à une certaine cohésion sociale, mais surtout, renforçant l'économie, grâce au travail d'une famille nombreuse sur des terrains arides et difficiles. Des familles de quinze à vingt membres autour du même feu n'étaient pas rares.
Ce rapport de vassal à suzerain s'inscrit en plein dans les lois féodales du Moyen Age. Sans doute un léger progrès social par rapport à l'esclavage des sociétés antérieures (romaines, franques ou mérovingiennes) mais un combat qui va s'étendre sur plusieurs siècles jusqu'à ce que soit mis fin à cette injustice.
Au Moyen Age, on peut dire que la vie rurale est précaire et misérable. Le travail de la terre est accompli avec des outils primitifs, ce n'est qu'au douzième siècle que l'on mit un collier à un cheval pour utiliser sa force.
Par nécessité, les cultures restent vivrières: fèves, lentilles, pois, orge, seigle, avoine... Les terres sont souvent très pentues. On cultive un peu de chanvre pour le mélanger à la laine du mouton et obtenir un tissu très grossier (le droguet).
Quelques instruments agraires de l'époque. Livre de comptes de l'abbaye au XIII siècleManuscrit ancien du XV siècleEt cette situation perdure au fil des années.
Puis arrive le XVIII siècle, dit:
le Siècle des LumièresLa paix et le traité de Nimègue en 1678 annexent la Franche Comté, jusqu'alors dépendante de l'Espagne, à la couronne de France.
Dole perd toutes ses prérogatives, et un intendant est nommé par le Roi, à Besançon.
Les impôts sont décuplés, la province, productrice de sel et exemptée jusqu'alors, est soumise à la Gabelle, d'autres charges comme Le Dixième ( un dixième des revenus ) la Capitation ( impôt par tête ) sont instaurées. La Milice (conscription par tirage au sort ) est rendue obligatoire.
Dès 1770, l'avocat Charles Frédéric Christin, soutenu par Voltaire dénonce la Main Morte dans un procès intenté auprès de la cour de Besançon.
Christin s'appuie sur trois arguments:
- les chartes sont des faux établis par les moines usurpateurs;
- les Mainmortables sont des esclaves modernes que l'on prive de toute dignité et de toute liberté;
- la terre de St-Oyend était déjà peuplée avant l'arrivée des moines.
Dom Benoit porte parole de l'abbaye va porter la contradiction en affirmant que le droit de propriété est au premier occupant, que les chartes sont authentiques et irréfutables... le procès s'enlise pendant des lustres.
Le roi Louis XVI a aboli cette pratique sur ses propres terres, mais n'a pas étendu cette décision à l'ensemble du royaume.
La Révolution éclate, et le:4 Août 1789Tous les privilèges et droits seigneuriaux sont abolis. Douze siècles après son institution, la Main Morte disparaît, et les Mainmortables retrouvent enfin la liberté naturelle due à chaque homme, et que les moines leur avaient ravie.
Christin devient Maire de St-Claude, une statue est érigée à la gloire de Voltaire.
Le hameau de la Mainmorte est rattaché à la toute nouvelle commune de Chaumont en 1791; et ses terres redeviennent TERRES DE LIBERTE
La servitude s'écrit La Main Morte, et le lieu dit La Mainmorte
Je voudrais remercier Monsieur Henri Marandin dont l'ouvrage " Chaumont d'Antan " a servi de référence à mon exposé.La chapelle de Chaumont de nos jours. Photo
René JV
René JV pour monjura.actifforum.com, le 16 avril 2006
mp3: "Pastorale" Symphonie n° 6 - Beethoven