A une vingtaine de kilomètres au sud de Saint-Claude, aux Bouchoux (39), au lieu dit sur la Roche, nous rencontrons Monsieur Robert Dromard un des derniers artisans qui perpétuent cette vieille tradition.
La quarantaine affirmée, Robert nous accueille à son domicile.
A son compte depuis 1999, notre hôte a d'abord fait son apprentissage de tavillonneur chez nos voisins suisses de la Gruyère (FR) pendant un an et demi.
Tout de suite un petit point technique.
Je vous ai emmené visité un tavaillonneur et je vous parle d'apprentissage de tavillonneur. Ce n'est pas une différence sémantique due à la frontière administrative entre nos deux pays. C'est tout simplement une affaire de tradition.
Côté Suisse,les tavillons sont posés à "bord recouvrant" alors qu'en France les tavaillons sont posés "bord à bord".
Avant d'aller plus loin, voyons une question simple, qu'est-ce qu'un tavaillon?
Suivant l'usage qui lui est réservé, toiture ou façade, on peut dire qu'un tavaillon est une tuile de bois de 42x14x1,1cm ou de 33x12x0.7cm.
Pour l'obtenir notre artisan va d'abord aller en forêt choisir sa matière première. Il ne choisira pas n'importe quoi.
Très rigoureusement il recherche des épicéas sur pied, de pleine forêt, pas de pré-bois.
Ces arbres devront de préférence avoir poussé sur un versant sud-ouest, à plus de 1 000 m d'altitude et d'un âge variant de 120 à 150 ans.
Robert s'attarde plus spécialement sur des arbres dont les premières branches se situent à au moins 8 m du sol et dont le tronc mesure de 45 à 60 cm de diamêtre.
Ces épicéas seront abattus par un bûcheron professionnel de façon à ne blesser ni l'arbre choisi ni ses voisins de forêt.
Pour vous prouver la qualité du bois choisi, voici deux exemples d'objets réalisés dans ces épicéas par
Marc Séraphin à Villard sur Doron (73).
L'arbre abattu sera séparé de ses branches mais non écorcé de façon à éviter au bois de sécher.
Le tavaillonneur dispose d'un arbre d'une longueur d'environ 40 m, dont il utilisera de 8 à 16 m pour les tavaillons proprement dits, le reste sera débité par une scierie pour l'obtention des planches, lambourdes et lattes nécessaires à la pose.
Une fois le bois livré à son atelier, l'artisan dispose de "meules" d'épicéas, sortes de cylindres du diamètre de l'arbre et débités en longueur de 33cm dans lesquels il va commencer sa production réservée aux façades.
On pourrait dire que la partie d'épicéa utile pour la fabrication du tavaillon ressemble à une tranche d'ananas, c'est pourquoi il faut, tout d'abord, enlever l'écorce, puis éliminer le coeur et débiter la périphérie en
quartiers.Pénétrons dans l'atelier, après un bref coup d'oeil sur les outils,
Voici les
quartiers.Traditionnellement c'est avec un
maillet et un fer à fendre que Robert va façonner son tavaillon.
Le maillet est presque toujours de fabrication maison avec des morceaux d'épicéa comportant des noeuds.
Dans le patois du pays, le fer à fendre est appelé
"fendieu". Nous avons maintenant devant nous des tavaillons bruts,
Avant de pouvoir les poser, il va falloir les
"parer".Le
parage consiste à rendre parallèles les deux bords du tavaillon, le retoucher éventuellement afin de lui conférer une épaisseur à peu près constante. Cette opération qui peut-être exécutée à la scie pour des tavaillons de bas prix n'a pas lieu d'exister chez notre ami Robert.
Ici, on défend le tavaillon de qualité et l'on travaille dans le respect de la tradition.
Cette opération de finition ne peut s'opérer que de deux façons si l'on prétend assumer cette tradition..
Du côté gaulois du pointillé administratif, on opère avec
le banc d'âne..
Le banc d'âne est un banc sur lequel le tavaillonneur s'assoit à califourchon. Une sorte d'étau est fixé devant lui, il introduit son tavaillon, le serre d'une pression du pied et à l'aide d'une
plane ou couteau pareur il va réaliser les opérations décrites ci-dessus.
Mais comme je vous l'ai dit, notre hôte a fait son apprentissage en Gruyère, du côté helvète du pointillé. C'est donc la méthode des tavillonneurs qu'il utilise plus généralement. Cette méthode est dite à la
"hachette" Il est à noter que tous les outils coupants de notre artisan sont réalisés sur commande spéciale dans différentes taillanderies. (forges qui réalisent des outils coupants: haches, faux etc...)
Quand on voit la finesse du copeau et la facilité du geste, on ne peut que penser que c'est véritablement un outil coupant.
Et ainsi, jour après jour pendant le long hiver jurassien, Robert et son salarié stockeront des tavaillons prêts à l'emploi qu'ils iront poser au mois d'avril, lorsqu'ils pourront à nouveau circuler librement, la neige ayant disparu. Ce petit atelier réalise bon an, mal an environ 1 200 m² de tavaillons en épicéas, de quoi recouvrir et protéger une bonne dizaine de façades de l'habitat traditionnel haut-jurassien.
Comme souvent dans la filière bois, tout ce travail ne laisse que peu de déchets puisque les copeaux sont directement recyclés en chaleur dans la chaudière à bois de la maison.
Je voudrais remercier bien sincèrement Robert Dromard et son épouse pour leur accueil oh combien chaleureux alors qu'à l'extérieur de la maison se déchaînait la première tempête de neige de l'hiver.
Rendez-vous a naturellement été pris pour le mois d'avril prochain afin d'assister en votre compagnie à la pose de ces tavaillons traditionnels.
René JV le 9 décembre 2006
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René JV - 8 décembre 2006
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Rémy JV - 8 décembre 2006.